Les héros de l’histoire

AngervilleLE SUPER HÉROS Sem d’Angerville. La photo a été prise à sa résidence, à Volnay, attenante au climat Clos des Ducs, Premier Cru en Monopole du Domaine Marquis d’Angerville.

→ Robert de Molesme (1029-1111)

Robert de Molesme crée en 1098 (date attribuée traditionnellement par les Cisterciens) l’Ordre des Cisterciens et fonde l’Abbaye de Cîteaux, à un lieu nommé ‘Cistercium’ (St-Nicolas-les-Citeaux à moins de 15 kilomètres à l’Est de Nuits-St-Georges). Il est né à Troyes (200 km au Nord de Nuits-St-Georges) en 1029. Connaissait-il le potentiel viticole de la Côte d’Or? Pas évident. Toujours est-il que les Cisterciens sont prompts à entreprendre à l’endroit qui deviendra le Clos de Vougeot l’aménagement de leur vignoble sur La Côte. Ils entreprennent son remembrent le Clos au 12e siècle et ils sont énergiques à développer un patrimoine considérable de vignes en maints endroits sur La Côte. Robert de Molesme est le récipiendaire du rang de héros au nom de tous les Cisterciens qui ont largement contribué à développer l’assise de la viticulture sur La Côte.

→ Le Duc Philippe le Hardi (1342-1404)

Virtuellement tous les ouvrages couvrant l’histoire du vin de Bourgogne mettent une emphase sur l’association entre les Grands Ducs de Bourgogne et le vin de Bourgogne. Les Bourguignons ont de l’estime pour les Ducs, lesquels contribuent activement à la transition du Moyen Age à la Renaissance.
Ils règnent ‘en rois’ sur leur territoire, de la Bourgogne aux Flandres. Ils servent du Bourgogne lors de tous les événements de relations publiques. Bref, le vin de Bourgogne est instrumentalisé pour accroître leur panache, leur puissance. Les Ducs sont ainsi les premiers grands promoteurs du vin de Bourgogne. La gloire du ‘Vin de Beaune’, générée par les Ducs, dure jusqu’au 17e siècle, puis elle connait une éclipse. La contribution des Ducs est toutefois tout autant culturelle que promotionnelle. Ils privilégient le Pinot noir et contribuent ainsi considérablement à fixer ce cépage et des paramètres de qualité dans les mœurs viticoles de La Côte. Le Duc Philippe le Hardi (1342-1404) édicte une ordonnance consistant à bannir le Gamay sur les meilleurs vignobles, cépage productif privilégié par le peuple. Plus tard, Philippe le Bon (1396-1467) interdit ‘l’extension des petits vins de production facile qui altère la qualité’. Philippe le Hardi représente ici les Ducs de Bourgogne qui ont été attachés au vignoble de La Côte.

→ Nicolas Rolin et Guigone de Salins

Les Hospices de Beaune sont créés en 1443 par Nicolas Rolin, chancelier du Duc Philippe le Bon, et son épouse Guigone de Salins. La première donation de vignes aux Hospices est faite en 1459. La première vente de vins aux enchères est tenue en 1851. Les fonds obtenus financent des œuvres de charité. Actuellement, la superficie du vignoble des Hospices est approximativement de 60 hectares, surtout en Premiers et Grands Crus, principalement en Côte de Beaune. Ce sont des héros malgré eux. Tenues annuellement le troisième dimanche de novembre, les ventes aux enchères des Hospices de Beaune sont certainement les événements de relation publique les plus retentissants du monde viticole de la Bourgogne.

→ Dr. Denis Blaise Morelot

L’ouvrage ‘La Statistique de la Vigne dans le département de la Côte d’Or’ du Dr Denis Blaize Morelot est édité en 1831. Minutieusement, l’entreprise jette les bases sur les connaissances et les interprétations des vins de la Côte d’Or. Denis Morelot écrit au début de son ouvrage: “Elle (La Côte) n’a jamais été examinée que très superficiellement et c’est pour couvrir une grande lacune que j’ai entrepris un travail important sur cet important sujet.” Un premier classement, rudimentaire, de climats et des finages y figure. Denis Morelot est membre du Comité d’Agriculture et de Viticulture de l’arrondissement de Beaune qui réalise en 1860 le premier classement formel, en trois catégories, des climats de La Côte. Il est plausible qu’il joue alors un rôle prépondérant dans cet exercice de hiérarchisation qui constituera près de cent ans plus tard la principale référence dans l’homologation des Premiers Crus. Aussi, Denis Blaize Morelot est le premier à établir le lien entre le lieu, la qualité et la géologie. L’œuvre est noble.

→ Jules Lavalle

Produit en 1855, l’ouvrage majeur ‘Histoire et Statistique de la Vigne et des Grands Vins de la Côte d’Or’ de Jules Lavalle (1820-1880) contient un premier essai de hiérarchisation systématique des climats. Les classements du Dr. Lavalle et du Comité d’Agriculture et de Viticulture de l’arrondissement de Beaune de 1860 sont les piliers de la hiérarchie actuelle des vin de La Côte. Jules Lavalle est professeur à l’école de médecine de Dijon, directeur du jardin botanique de cette ville et secrétaire de la Société d’Horticulture de la Côte d’Or. Il est aussi membre de la société géologique de France et du Comité central d’agriculture de la Côte d’Or. Présent dans les réseaux intellectuels de Dijon, il constitue une autorité animée par l’idéal républicain.

→ Adolphe Savot

Docteur en droit, animé par l’action démocratique, Adolphe Savot préside le Syndicat Viticole de la Côte Dijonnaise (SVCD) pendant plus de deux décennies à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Dans la lutte face à la fraude et aussi la démarche vers la fixation des appellations, le milieu intellectuel des villes de Beaune et surtout de Dijon collabore activement avec le milieu viticole en faisant intervenir leurs réseaux auprès des instances décisionnelles. Le SVCD organise en 1891 le premier marché au vin, à Dijon, qui promeut pour l’occasion la vente de vins de vignerons. Le SVCD dispense des cours de techniques de vinification et diffuse des informations pratiques via le Bulletin du Syndicat viticole de la Côte Dijonnaise qui est distribué en 1913 à plus de 3000 membres. Le point d’orgue de l’action d’Adolphe Savot est son rôle déterminant en 1905 dans l’avènement de la myriade de syndicats locaux en Côte d’Or qui ont d’abord cherché à contrecarrer la production de vins factices par les négociants, la cause principale de l’étranglement de débouchés de la production vigneronne sur la Côte. Adolphe Savot émancipe le syndicalisme, lui apporte de l’assurance.

→ Étienne Camuzet

etienne-camuzet-image1-slidePhoto extraite du site internet du domaine Méo-Camuzet.

Étienne Camuzet (1867-1946) figure au rang de héro pour sa longue contribution apportée à la notoriété du vignoble de La Côte. Il est propriétaire de vignes à Vosne-Romanée au début du 20e siècle, maire de Vosne-Romanée de 1900 à 1929 et député de la Côte-d’Or de 1902 à 1932. Tout au long de ces trois décennies décisives, il est un porte-parole indispensable des vignerons auprès du Gouvernement français. Il intervient à partir de la Loi de 1905, contre la fraude dans les vins, jusqu’à la Loi de 1935 créant les AOC et le CNAO (ancêtre de l’INAO), en passant par la Loi de 1919 sur les Appellations d’Origine. Entre autres, dans le contexte de la Loi de 1905, Étienne Camuzet répond à la fraction du Sud de la France qui tente d’interdire la chaptalisation des vins en tant que moyen pour contrer la tromperie alors généralisée dans l’industrie: « Auriez-vous l’intention de vouloir empêcher … (le sucrage), tandis qu’il ne nous est jamais venu à l’idée de vous empêcher d’améliorer vos vins au moyen de l’acide tartrique quand cela leur fait défaut? » Il acquiert le Château du Clos de Vougeot et une partie du vignoble en 1920. Il met le Château à la disposition de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin et le vend ‘à prix d’ami’ en 1944 à la société des Amis du Château de Vougeot. Par ailleurs, il est le fondateur du Domaine Méo-Camuzet qui fut légué après son décès à sa fille unique Marie Noirot. Celle-ci n’ayant pas eu d’enfant, le domaine fut transmis à son neveu Jean Méo, père de Jean-Nicolas Méo actuellement en charge de la propriété. Jean Méo travaillant alors à Paris au cabinet du Président Charles de Gaulle, les vignes furent confiées à trois métayers, dont Henri Jayer (1922-2006).

→ Marquis Sem d’Angerville, le super héros

Le Marquis d’Angerville, Adolphe Savot et Henri Gouges sont parmi les meneurs du monde syndical vigneron des premières décennies, décisives, du 20e siècle. Sans ces immenses personnages, la Bourgogne viticole pourrait bien être différente aujourd’hui. À cette époque, le syndicalisme n’est pas militant mais rassembleur et porteur de causes. De 1905 à 1927, Sem D’Angerville préside le Syndicat de défense de la viticulture bourguignonne qui orchestre la lutte syndicale contre la fraude dans les vins. Après la Loi du 22 juillet 1927, laquelle complète celle du 6 mai 1919 sur la ‘Protection des appellations d’origine’ en introduisant la notion cruciale d’encépagement dans le concept des délimitations, son action se concentre essentiellement sur la Côte d’Or. En tant que président du Syndicat de défense des intérêts viticoles et vinicoles du département de la Côte d’Or, il intervient inlassablement pour que s’y matérialise sa vision de délimitations strictes par commune ou par cru élite, selon l’usage exclusif des cépages fins que sont le Pinot noir et le Chardonnay. Enfin lorsque survient le Décret-Loi du 30 juillet 1935 sur la création des Appellations d’Origine Contrôlée et la mise sur pied du CNAO, il est nommé sur le Comité Directeur national destiné à guider les décisions de l’organisme. Bref, Sem d’Angerville est un acteur incontournable des officines gouvernementales et politiques durant la période de l’entre-deux-guerres. Il importe aussi de souligner qu’il est également un instigateur de la mise en bouteilles directe à la propriété. C’est certainement LE super héros.

→ Aubert de Villaine


IMG_0310Photo par monocepage en octobre 2015. À l’arrière plan, La Romanée St-Vivant, climat attenant au Domaine de la Romanée-Conti.

Aubert de Villaine ne s’est pas contenté pas d’être jusqu’en 2022 le compétent co-gérant d’une propriété viticole parmi les plus prestigieuses du monde, le Domaine de la Romanée-Conti. Par ses gestes sages et ses implications, il devient une personnalité publique hautement estimée, une autorité morale. Il est un pionnier de la culture biologique qu’il adopte en 1986 à son propre vignoble de la Côte chalonnaise (le Domaine de Villaine) et à la DRC, puis de la pratique de la biodynamie qu’il instaure par la suite. L’adhésion à cette dernière pratique est à ce moment d’autant audacieuse qu’elle suscite de la perplexité. Il fut président de l’association ‘Les Climats du Vignoble de la Côte d’Or’ qui coordonna de 2007 à 2015 l’importante démarche régionale ayant abouti en 2015 à l’inscription des Climats du vignoble de Bourgogne au patrimoine mondial de l’UNESCO sous ‘Paysages culturels’. A propos de celle-ci, il dit de façon juste que “la retombée la plus importante est d’aider à ce que le territoire prenne conscience du patrimoine exceptionnel que l’Histoire lui a confié et le protège afin de le transmettre aussi intact qu’il l’a reçu.” Soulignons que les sites internet de la DRC et du Domaine de Villaine, dépourvus de contenu commercial, sont méritoires pour leur contenu culturel.

→ William Fèvre

IMG_0411Photo de William Fèvre par monocepage le 2 novembre 2015, à son retour d’une visite du chantier de rénovation d’un bâtiment historique de Chablis. Le sourire est encore bien malin à 86 ans. Il décède en juin 2019.

La désignation de William Fèvre parmi les héros est un clin d’œil à Chablis. Pendant une très longue période du siècle dernier, la délimitation des aires du Chablisien suscite de très vives tensions entre les vignerons du cœur de Chablis et ceux des villages périphériques. Les premiers préconisent des appellations ‘Chablis’ et ‘Chablis Premiers Crus’ restreintes au ‘Chablis historique’, le secteur de la commune de Chablis et ses environs immédiats. Les autres revendiquent une extension des aires en question, particulièrement celle de ‘Chablis’ même. La discorde atteint son paroxysme durant les années 1970 lorsque l’INAO examine puis décrète l’élargissement des aires de Chablis et de Chablis Premiers Crus. Pour le Syndicat de producteurs présidé par William Fèvre, l’extension des aires apparait avilissante pour le nom de Chablis: “la renommée qualitative de Chablis serait au niveau de Meursault si Chablis était resté dans ses limites historiques”. Son acharnement à préconiser des AOC bornées au cœur du Chablisien est impressionnant. La rédaction en 1978 de son ouvrage Les Vrais Chablis et les autres’ est un des gestes forts de son implication. Ce livret étaye l’argumentaire de sa position et constitue en outre un document d’histoire important.
Lors de notre rencontre du 2 novembre 2015, il évoque, avec grande fierté, ses démarches fructueuses menées dans les années 1970 auprès des instances de l’industrie viticole californienne et du commerce japonais afin que cesse l’emploi déloyal du nom ‘Chablis’ sur le flux commercial États-Unis-Japon.

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