Date de publication:

Saint-Péray

Mise en ligne: décembre 2021

Historiquement, le vignoble de Saint-Péray montre des phases contrastées. Le ‘Saint-Péray mousseux’, de méthode champenoise, est très prisé pendant un siècle, de la demie du 19e à la demie du 20e siècle. Suit une période de ‘coma’ durant la deuxième demie du 20e siècle. L’éveil survient vers 1990/2000, alors que la production se tourne vers le vin blanc tranquille. Au sein de son aire d’appellation également contrastée, pittoresque, coule une petite rivière tranquille, encaissée entre un massif de granite d’un côté et un autre de calcaire à l’opposé. Le vin? Des similitudes avec le Hermitage blanc.

CONTENU:
1 ⇒ Géographie/physionomie du milieu
1.1 → Au sein de la région du Rhône septentrional
1.2 → Géographie de l’aire de l’AOC Saint-Péray
1.3 → Climat

2 ⇒ Un peu d’histoire
2.1 → Histoire centrée sur le vin mousseux
2.2 → Appellation précurseure en Rhône-Nord
3 ⇒  Décret
d’appellation
3.1 → Règles du viticulture
3.2 → Deux options: vin blanc tranquille / vin mousseux (méthode champenoise)
4 ⇒ Géologie brièvement
4.1 → Deux vues en coupe de l’aire de Saint-Péray
4
.2 → Secteur Ouest, versant terminal de la bordure granitique du Massif central
4.3 → Secteur sédimentaire des flancs de la vallée du Mialan: abondantes alluvions associées à un trajet antérieur du Rhône
 5 ⇒ Bibliographie

 

1 ⇒ Géographie/physionomie du milieu

1.1→ Au sein de la région du Rhône septentrional

Une carte tirée du site documentaire vin-terre-net, maintenant caduque, que nous apprécions particulièrement pour la délimitation des départements. Sur la rive droite du Rhône, dans le département de l’Ardèche, l’aire de Saint-Péray est la plus méridionale des huit appellations communales de la région du Rhône-Nord.

Cette carte-ci, issue du site des producteurs de Saint-Péray, met particulièrement ‘en lumière’ Saint-Péray.
Il y a toujours, mais vraiment toujours, une ou plusieurs erreur(s) ou imprécision(s) dans les cartes du vignoble du Rhône-Nord. Sur celle-ci l’aire de Crozes-Hermitage est détachée en deux parties, de part et d’autre de celle de Hermitage. L’aire de cette dernière appellation est plutôt complètement ceinturée par celle Crozes-Hermitage.
Soyons davantage ‘tâtillonneux’. Les deux cartes ne montrent pas que les aires de Condrieu et de Saint-Joseph se chevauchent sur quatre communes, dans la partie méridionale de Condrieu, ou inversement dans la partie septentrionale de Saint-Joseph.

 

Cliquez sur l’illustration pour bien visualiser la troisième dimension. Saint-Péray est située dans le Haut-Vivarais, région à l’Est du Massif central, dans le département de l’Ardèche.

Aussi sur la rive droite du Rhône, le vignoble de Cornas (coloré en brun) voisine immédiatement celui de Saint-Péray. Les zones éparses colorées en vert correspondent à des secteurs méridioanaux de l’AOC Saint-Joseph.
L’illustration situe schématique les aires de Hermitagte et Crozes-Hermitage, sur la rive gauche du Rhône.

Au fil des dernières décennies, la commune de Saint-Péray est graduellement devenue une banlieue de Valence, celle-ci sur l’autre rive du Rhône. Guiherand-Granges, aussi sur la rive droite, s’insère entre Saint-Peray et Valence.


1.2→ Géographie de l’aire de l’AOC Saint-Péray

Extrait de Google-plan montrant le périmètre de la commune de Saint-Péray.

Comme pour Cornas, l’aire de Saint-Péray couvre tout le périmètre de la commune, bien que les vignes n’y soient localisées qu’aux quelques endroits propices. L’aire comprend également un minuscule appendice dans le quartier de Biguet sur Toulaud, commune adjacente au Sud.
La superficie théorique est de 1030 hectares. La superficie réellement propice à la vigne serait de l’ordre de 150 hectares.

 

Une carte tirée de Mapcarta.com qui illustre le parcours du Mialan dans la commune de Saint-Péray, tout en founissant un apercu de la topographie via les courbes de niveau.

L’aire de Saint-Péray-Toulaud comprend trois contextes géographiques:
√ La vallée du Mialan où coule, du Sud-Ouest au Nord-Est dans le segment de la commune de Saint-Péray, une petite rivière éponyme. Cette vallée est encaissée entre les deux autres contextes.
√ À l’Ouest de la vallée (à gauche sur l’illustration), les premiers contreforts septentrionaux du Vivarais, en Ardèche. Ces contreforts correspondent à la bordure orientale, granitique, du Massif central. La vigne occupe les secteurs adéquatement exposés, au Sud-Est, de cette zone très accidentée;
√ À l’Est de la vallée (à droite sur l’image), le longiligne massif de Crussol qui est un éperon calcaire.
Huser Simone, ‘Les vins de Saint-Péray‘, 1948

Cliquez sur le texte pour sa lecture.

 


1-3 → Climat

Le climat de Saint-Péray est du type ‘lyonnais’, lequel est cependant adoucit par les influences méditerranéennes qui remontent jusqu’à Valence, ainsi jusqu’à Saint-Peray. En revanche, l’axe de la vallée de Mialan, Nord-Est/Sud-Ouest, est un couloir ouvert à la ‘bise’, le courant d’air frais circulant depuis le Nord dans la vallée du Rhône. Voisin immédiat au Nord de Saint-Péray, Cornas est passablement à l’abri de ce dernier courant puisque protégé au Nord par un promontoire s’avançant vers le Rhône et aussi en vertu de son enclavement qui lui confère un aspect d’amphithéâtre.



2 ⇒ Un peu d’histoire

2.1 → Histoire centrée sur le vin mousseux

• Volet ancien
Comme ailleurs en Rhône-Nord, Saint-Péray a une histoire viticole ancienne. Le décret d’appellation indique que “les plus anciennes traces écrites de cette culture sur le lieu exact de Saint-Péray remontent au Haut Moyen-Âge: an 928, donation d’une vigne au monastère de Cluny ; an 969, donation d’une vigne à l’Abbaye de Saint-Chaffre du Monastier…. Des actes de vente datés du 15e et du 16e siècle, qui tous citent des noms de lieux-dits voués à la vigne (exemple: 1415 : Vigne au quartier de Putier…) témoignent de l’extension du vignoble sur le territoire de la commune de Saint-PérayDès la fin du 15e siècle, la distinction écrite faite entre ‘vinum album’ (vin blanc) et  ‘vinum claratum’ (vins clairet) confirme l’existence de la production de vins blancs dans la région de Saint-Péray. Ces vins considérés comme des produits de luxe sont offerts à des hôtes prestigieux (cadeau au Comte de Crussol ou à l’évêque de Valence)…”

S’appuyant sur les archives de la Drôme, Marie-Thérèse Savelli − article ‘Saint-Peray centre viticole et vinicole’, Revue de géographie alpine1946 − indique notamment que le milieu produit des vins de luxe au 15e siècle et que « les vignes les plus souvent citées à cette époque sont situées aux Brémondières, à Coupier, sur les coteaux de Hongrie et au quartier de Saveyre. On peut dire que dès lors elles se touchaient toutesLe vin produit au 18e siècle y est réputé.”

Entre 1935 et 1943: en moyenne 140 ha sont consacrés à la vigne, vin blanc (110 à 120 conformément à la loi de 1933) et rouge; puis une pointe de 158 ha en 1957.

• Quasi exclusivité de la production en vin mousseux aux 19e et 20e siècle
Légende est-ce? Toujours est-il que Marie-Thérèse Savelli relate que « durant les actes du 18e siècle, les vins ‘clarets’ de Saint-Peray sont dits ‘pétillants seuls’. Ils moussent en effet naturellement, ce qui a donné l’idée d’exploiter cette propriété.Ce n’est qu’à partir de 1856 que les meilleurs procédés (de champagnisation) furent adoptés. »

Version du décret d’appellation (extraits): « Il semble que l’usage de rendre mousseux une partie des vins de ‘Saint-Péray’ se perde pour être redécouvert seulement au 19e siècle par un viticulteur nommé Louis Alexandre Faure qui, en 1828, expérimente sur cent barriques une méthode de prise de mousse. A l’époque cette innovation est unique dans la vallée du Rhône. Simultanément, la commercialisation du prestigieux vin blanc se développe grâce à un négoce dynamique qui passe de sept à quatorze maisons entre 1841 et 1846. Durant cette période faste, le ‘Saint-Péray mousseux’ bénéficie d’une grande réputation et fait partie des vins mousseux les plus chers de France. »

Des textes de Savelli et du décret d’appellation, il est à retenir que Louis-Alexandre Faure a initié la champagnisation à Saint-Péray autour de 1928 et que la commercialisation du mousseux fut subséquemment entreprise et s’est quasiment généralisée, entraînant l’essor des maisons de négoce de l’endroit via cette effervescente tendance. Ces négociants trouvent par ailleurs à Saint-Péray l’avantage d’une position assez centrale à l’intérieur du corridor viticole de la vallée du Rhône.

“On prépare le mousseux en copiant les procédés traditionnels de la Champagne... À cette époque, le Saint-Péray  mousseux, en l’absence de toute réglementation,  était vendu sous le nom de ‘Champagne Saint-Péray. Simone Huser , ‘Les vins de Saint-Péray‘, 1948

±1880 à ± 1950 / Saint-Péray: un bastion de la viticulture en Rhône-Nord
La viticulture entre en léthargie en Rhône-Nord à la suite de la crise du phylloxera de la fin du 19e siècle et cette latence se poursuit presque partout  jusqu’à vers 1970/1980 − voir le texte ci-bas ‘L’éclipse du vignoble du Rhône-Nord entre 1870 et 1970‘ − Saint-Péray en est toutefois exclu un temps, jusqu’aux années 1950/1960, de ce ‘coma’ puisque le vignoble y est replanté et que la viticulture conserve une vitalité jusqu’à la Seconde Guerre. Entre 1935 et 1943, la vigne couvre en moyenne 140 hectares, dont 110 à 120 ha en vin blanc, marsanne surtout, en conformité à la promulgation de l’AO de 1933 (explications à la suite sous 2.2 /Appellation précurseure en Rhône-Nord); et le solde en rouge, de la syrah.

Dans le texte ci-bas, il est dit que l’extension des milieux urbains, dont celui de Valence, crée une pression spéculative sur leur périphérie respective à vocation originalement viticole. Étant en périphérie de Valence, la commune de Saint-Péray en est ainsi devenue une banlieue. La population de la commune aurait alors doublé entre 1950 (3168 personnes en 1954) et 1990 (5886 en 1990) − selon Wikipédia qui indique ses sources − alors que le parc d’habitations y a certainement plus que triplé −  en vertu de la diminution du nombre de personnes par ménage durant cette période −, entrainant une spéculation sur le fonds de terre.

Selon Marie-Thérèse Savelli (voir bibliographie) la production de 1940 hectolitres en l’année 1940 sur l’AOC Saint-Péray est la seconde en importance en Rhône-Nord après celle de Hermitage de 2837 hl, et avant celles de Côte Rôtie de 749 hl, Cornas de 63 hl et Château-Grillet de 19 hl.

L’éclipse du vignoble du Rhône-Nord entre 1870 et 1970

La superficie du vignoble en Rhône septentrional a varié selon les moments de façon très contrastée. Entre autres, très étendu et renommé qu’il était au milieu du 19e siècle, le vignoble s’est amenuisé dramatiquement par la suite pendant près d’un siècle.

Au 18e et 19e siècles, l’extension du vignoble de France est d’ordre général constante. Portée par un essor économique et des progrès dont l’avènement du train, la superficie en vignes atteint son apogée historique en Rhône-Nord au milieu du 19e. Cette prospérité est cependant suivie de près d’un siècle de repli dramatique, entre ±1870 et ±1970. Ces vignobles subissent alors tous un processus de contraction, voire presque d’abandon en certains endroits, particulièrement sur les coteaux. D’abord, la crise phylloxérique des dernières décennies du 19e siècle détruit tout le vignoble de France. Puis une suite d’avatars engendrés par l’homme se succèdent, voire s’amalgament:
√ La surproduction des années 1900 attribuable aux contextes de forte prospérité du vignoble languedocien, d’importation de vins algériens et de production de vins factices;
√ les marasmes des deux guerres mondiales;
√ une interminable période de mévente du vin, jusqu’à ±1960, explicable par les révolutions dans les pays de l’Est, la crise économique des années 1930, la prohibition aux États-Unis, la perte de marchés traditionnels par les guerres, etc…

En concomitance, la région septentrionale de la Vallée du Rhône connait un fort essor économique; c’est notamment l’époque des Trente Glorieuses. Une forte partie de la main d’œuvre viticole se détourne des coteaux rhodaniens pentus, impliquant des tâches harassantes, pour intégrer les nouveaux emplois moins exigeants et/ou plus rémunérateurs et réguliers dans les nouvelles usines et ceux en découlant dans la sphère économique des services. Par ailleurs, l’extension des milieux urbains, dont celui de Vienne, crée une pression spéculative sur leur périphérie respective à vocation originalement viticole, en occurrence sur Seyssuel. En outre, la production de vins courants et les activités agricoles, maraichères et d’arboricultures (desserte du marché parisien par le train), substituent la vigne sur les plateaux et dans les parties basses des vignobles. Qui plus est, les coteaux escarpés découragent l’introduction, au milieu du 20e, de la mécanisation des travaux viticoles, laquelle se généralise un peu partout ailleurs. En bref, la viticulture en Rhône-Nord est en léthargie jusqu’à vers 1970/1980. À titre d’exemple, les vignobles de Côte Rôtie et de Condrieu se sont contractés respectivement à moins de cinquante et dix hectares

• Léthargie décalée de la viticulture sur Saint-Peray
Son renouveau (le vignoble), trop récent, ne permet pas une bonne lecture des terroirs de Saint-Péray, écarté ainsi de notre itinéraire.” Il s’agit d’un extrait du dossier ‘Nobles terroirs du Rhône Nord’ de la copie de novembre 2011(no 556) de la Revue du Vin France. Avec un net décalage comparativement à tous les autres vignobles en Rhône-Nord, celui de Saint-Péray cesse de produire du ‘Saint-Péray mousseux’ vers 1950/1960. Du coup, c’est tout le vignoble en Rhône-Nord qui est en léthargie.

Si la viticulture reprend en Rhône-Nord dans les années 1970 et 1980, ce n’est toutefois qu’avec un décalage d’une trentaine d’années que la reprise s’observe sur Saint-Péray, vers l’an 2000, en faveur cependant d’une production axée dorénavant sur le vin blanc tranquille.


2.2 → Appellation précurseure en Rhône-Nord

Un s’agit d’un volet de l’histoire de Saint-Péray que nous avons jugé particulièrement intéressant.

• L’échafaudage de la loi sur les AOC
Nombreux sont les vinophiles qui savent que la loi des AOC a été mise en place au milieu des années 1930, en vertu de la loi du qui crée le ‘Comité National des Appellations d’origine des vins et des eaux-de-vie’; CNAO muté en INAO en 1947, puis en Institut National de l’Origine et de la Qualité en 2006. Peu nombreux sont toutefois ceux qui connaissent les trois lois précurseures: 1) Loi du 01-08-1905 sur la répression des fraudes dans la vente des denrées alimentaires et des produits agricoles; 2) Loi du 6 mai 1919 afférente à la garantie d’origine via les Appellations d’Origine (AO, non pas AOC); et 3) Loi du 27 juillet 1927 qui intègre des critères techniques à la loi de 1919, nommément le critère de l’encépagement propre à chaque AO.

Carte illustrant les Appellations d’Origine fixées en vertu de la Loi de 1919, laquelle ne comporte que deux AO en Rhône-Nord: Saint-Peray (1933) et Hermitage (1936). Carte produite par Olvier Jacquet, auteur de ‘Un siècle de construction du vignoble bourguignon’ et spécialiste du contexte des AO en France. (Manque sur la carte l’AO ‘Clos Saint-Jacques’.)

• Encadrement de la loi des AO (non pas AOC)
Dans maintes communes, ou milieux, des syndicats s’étaient créé à partir de 1905 pour notamment exercer des vigies face aux fraudeurs. La Loi du 6 mai 1919 sur la ‘Protection des Appellations d’Origine‘ modifie la donne. Des ‘syndicats de défense’ se constituent cette fois en fonction de territoires spécifiques − milieux, communes, voire de crus comme pour Chambertin en Bourgogne − susceptibles d’acquérir une Appellation d’Origine. La loi fit intervenir les tribunaux − tribunal civil du lieu d’origine du produit pour lequel une Appellation est revendiquée − en tant qu’instances décisionnelles pour fixer les ‘Appellations d’Origine’. Les syndicats de défenses furent des intervenants proactifs essentielsdans le contexte engendré. Ainsi, jusqu’en 1935,  en s’appuyant sur la conformité avec ‘les usages locaux, loyaux et constants’, les tribunaux déterminèrent judiciairement une constellation de AO  à travers la France (voir la carte ci-contre); particulièrement à partir de 1927 alors que la loi de 1919 fut amandée pour intégrer notamment le critère de l’encépagement.

1920 – Loi du 12 mars 1920 sur l’extension de la capacité civile de syndicats professionnels: les syndicats obtiennent la capacité d’ester en justice. En regard de la Loi sur la Protection des Appellations d’Origine, maints syndicats modifient leur statut et dénomination pour y intégrer l’aspect de défense de leur intérêt (exemple: syndicat de défense des intérêts viticoles de Gevrey-Chambertin.) La nouvelle mosaïque des syndicats reflète systématiquement les enjeux d’appropriations d’appellations. Étienne Clémentel, ministre du gouvernement de l’époque disait avec justesse “le commerce avait fini par croire que les noms de Bordeaux, de Champagne, de Cognac lui appartenaient, et qu’il avait le droit d’en disposer à sa guise, alors que ces dénominations constituent avant tout la propriété des producteurs de ces régions.”

• Appellation Contrôlée (AO et non pas AOC) ‘Saint-Péray’ fixée le le 3 mars 1933
Le Saint-Péray champagnisé est toujours un succès commercial au début du 20e siècle. Manifestement pour en accroître leur production et/ou acheter du raisin à meilleur prix, les négociants établis à Saint-Péray, une vingtaine, achètent du raision et/ou des moûts hors du territoire Saint-Péray; des moûts constitués peut-être même de cépages autres que traditionnels, soit la marsanne et la roussane. En fait, deux visions sont en opposition. Les viticulteurs désirent la valorisation stricte du terroir en préconisant sa délimitation et ses coutumes. Les négociants ont plutôt une conception de la valorisation de la marque ‘Saint-Péray mousseux’; ils ont recours à des pratiques d’équivalence et d’assemblage, tout en conservant la dénomination.

Aux vues des viticulteurs locaux, la pratique des négociants est une concurrence déloyale. Le syndicat des viticulteurs de Saint-Péray fait appel au tribunal de Tournon-sur-Rhône en vue d’obtenir la juridicisation d’une Appellation d’Origine (AO) propre à Saint-Péray. Le tribunal fixe l’Appellation Contrôlée ‘Saint-Péray’ le 3 mars 1933. Deux personnalités du milieu ont animé le syndicat pendant les premières décennies du 20e siècle: Raymond Saint-Prix et le docteur Émile Palayer.

• Cas précurseurs uniques en Rhône-Nord
Deux AO furent créées en Rhône-Nord pendant l’application de la loi des Appellations d’Origine, entre 1919 et 1936: Saint-Péray et Hermitage. Rappelons qu’ailleurs dans cette région, la viticulture est en léthargie à la suite de la crise du phylloxera et que les Appellations d’Origine ne sont alors certainement pas des préoccupations.

⋅ Fixation de l’AO ‘Saint-Péray’ par jugement du Tribunal de Tournon le 3 mars 1933
⋅ Fixation de l’AO ‘Hermitage’ par jugement du Tribunal de Tournon en juin 1936
◊ Décret de l’AOC ‘Saint-Péray’: 8 décembre 1936
◊ Décret de l’AOC ‘Château-Grillet’: 8 décembre 1936
◊ Décret de l’AOC ‘Hermitage’: 4 mars 1937
Décret de l’AOC ‘Saint-Péray mousseux’: 13 janvier 1938
◊ Décret de l’AOC ‘Cornas’: 5 août 1938
◊ Décret de l’AOC ‘Condrieu’: 27 avril 1940
◊ Décret de l’AOC ‘Côte Rôtie’: 18 octobre 1940
◊ Décret de l’AOC ‘Saint-Joseph’: le 15 juin 1956

Bref, en Rhône-Nord, Saint-Péray et Hermitage sont donc les seuls territoires ayant obtenu: 1) une ‘Appellation d’Origine’ tandis que la Loi sur les AO était en vigueur (1919-1936); et 2) prestement une ‘Appellation d’Origine Contrôlée’ à la suite de l’implantation de la loi sur les AOC de 1935. De forts contrastes marquent cependant ce milieu entre la période énergique de la première demie du 20e siècle, la profonde léthargie de la deuxième partie du 20e siècle, et le renouveau du début du 21e siècle.



3 ⇒  Décret d’appellation

3.1 → Règles du viticulture

À l’exception de l’option de production de vins effervesents réservée seulement aux vins de Saint-Péray, les règles de viticulture assujetties à l’AOC Saint-Péray sont

→ Encépagement
L’encépagement se limite à deux cépages, destinés à la production strictement de vins blancs tranquilles et mousseux: la marsanne et la rousanne, ce dernier ne représentant que ±10% des surfaces plantées. Ce sont des cépages à maturité tardive, deuxième quinzaine de septembre ou début octobre.

→ Conduite du vignoble
√ Superficie homologuée: ±1050 hectares, soit la superficie entière du territoire de la commune de Saint-Péray et de l’appendice de la commune Saint-Toulaud.
Superficie exploitable: ± 150 hectares?!
√ Densité minimum de plantation: 4 000 pieds/ha; chaque pied dispose d’une superficie maximale de 2,50 mètres carrés.
√ Rendement de base: 45 hl/ha pour les vins blancs tranquilles et 52 hl/ha pour les vins blancs mousseux.
Rendement butoir: 52 hl/ha pour les vins blancs tranquilles et 60 hl/ha pour les vins blancs mousseux.
√ Titre alcoométrique:
⋅ Les vins blancs tranquilles doivent présenter un titre alcoométrique volumique naturel minimum de 10,5 %.
⋅ Les vins blancs mousseux doivent présenter un titre alcoométrique volumique naturel minimum de 9 %.
√ Spécificités de production des blancs mousseux:
⋅ Le décret d’appellation ne l’énonce pas comme tel, mais la réalisation du Saint-Péray mousseux correspond à la méthode champenoise.
⋅ Les vins mousseux en 750 ml sont élaborés et commercialisés dans les bouteilles à l’intérieur desquelles a été réalisée la prise de mousse.
⋅ Le tirage en bouteilles dans lesquelles s’effectue la prise de mousse est réalisé à partir du 1er décembre qui suit la récolte.
⋅ Les vins mousseux sont mis en marché à destination du consommateur à l’issue d’une période d’élevage de 12 mois minimum à compter de la date de tirage.


3.2 → Deux options: vin blanc tranquille et vin mousseux (méthode champenoise)

• Méthode champenoise: standard de la production d’autrefois
Autorisée par le décret d’appellation, la production de ‘Saint-Péray mousseux’ constitua le standard de la production locale pendant près un siècle, entre ±1850 et ±1950; voir ci-haut ‘Histoire centrée sur le vin mousseux’.
Simone Huser écrit en 1947: “Quel est l’objet de la vente? C’est surtout le Saint-Péray mousseux. La proportion est à peu près celle-ci: une bouteille de Saint-Péray sec pour 100 bouteilles de mousseux.” La production était destinée d’abord à l’Afrique du Nord, ensuite l’Angleterre et les pays de l’Europe septentrionnal et orientale.

Certes une singularité …
Notre recherche convient que seules deux autres AOC communales de France, Vouvray et Seyssel (non pas ‘Seyssuel’), autorisent la production de ‘vins mousseux’, autrement dit l’usage de la méthode champenoise. Les appellations Gaillac et Saumur comportent également cette option de production, toutefois celles-ci sont respectivement d’ordre sous-régional et régional (ensemble du Saumurois).

• Actuelle production subalterne de vin mousseux

La production de vins mousseux est marginale depuis la renaissance du Saint-Péray. Seul un petit nombre de producteurs produisent toujours du Saint-Péray mousseux en plus de cuvées en vin blanc tranquille, entre autres, les domaines Rémy Nodin (Saint-Péray), Alain Voge (Cornas), du Biguet (Saint-Péray) et la Cave de Tain-l’Hermitage.
Toujours est-il …
… que Saint-Péray et Cornas sont des ‘proches’ aux vocations complémentaires. Dire, écrire ou concevoir que les propriétés de leur terroir respectif déterminent que Cornas est destiné aux vins rouges et que Saint-Péray l’est aux blancs est, à nos yeux, une affaire qui relève davantage d’usages. Sachant que Saint-Péray a produit à une époque des vins rouges clairets, et que le vin de Cornas « étaient déjà connus au 16e siècle, il s’agissait de vins blancs … pour des raisons religieuses … vins de messe pour les autorités ecclésiastiques de Tournon. » (Larousse-Vins et vignobles de France, 1987), nous concevons que c’est avant tout le principe de la complémentarité qui a déterminé, au fil du temps, qu’un vignoble serait voué principalement au rouge et l’autre au blanc. D’ailleurs les producteurs établis à Saint-Péray produisent aussi des vins de Cornas et, réciproquement, ceux de Cornas produisent également des Saint-Péray. Si ils s’en trouvent qui ne produisent pas sur les deux appellations, il s’agirait alors d’exceptions qui confirment la règle.

 



4 ⇒ Géologie brièvement

4.1 → Deux vues en coupe de l’aire de Saint-Péray

→ Vue en coupe selon Georges Truc
Illustration extraite du site Vins-rhone.com, réalisation certainement assez récente, produite par Georges Truc.

Vue en coupe schématique, grosso modo Ouest-Est, de la géologie de Saint-Péray produite par Georges Truc, ‘oenogéologue’ (sa propre désignation, judicieuse), spécialiste des terroirs viticoles de la vallée du Rhône.
Ce schéma comporte une compression d’Ouest en Est, accentuant du coup la déclivité des deux secteurs escarpés de part et d’autre de la vallée du Mialan: le versant accidenté de la bordure du Massif Central à l’Ouest, à gauche sur l’illustration; et le Massif calcaire du Crussol à l’Est.

L’aire de l’appellation Saint-Péray couvre théoriquement toute la superficie de la commune. Les secteurs propices à la viticulture se situent surtout sur ces deux-ci:
√ Certains endroits du versant terminal, granitique, du Massif Central à l’Ouest de la vallée.
√ Certains endroits des rives de la vallée de Mialan, sur lesquelles se sont accumulées d’abondantes alluvions (ou sédiments) fluviales issues d’un trajet antérieur du Rhône;

→ Vue en coupe selon Pierre Mandier, 1974
Moins ‘jazzée’, quelque peu surannée, cette autre coupe fournit toutefois une excellente lisibilité. Elle met davantage en évidence le secteur des rives de la vallée de Mialan qui est recouvert d’une épaisse couche d’alluvions fluviales.


3.2 → Secteur Ouest, versant terminal de la bordure granitique du Massif central

  La composition minérale du granite, roche-mère cristalline d’âge primaire, comprend du quartz, du feldspath et du mica; les trois minéraux généralement associés au granite.

Grosso modo, le versant, très accidenté, à l’Ouest de la commune comporte un sol sableux ‘d’arène’, soit le stade final d’altération du granite qui en constitue le roche-mère. Ce type de sol est semblable à celui de la majeure partie du vignoble voisin de Cornas, de même que le secteur un peu plus au Nord, sur Mauves et Tournon-sur-Rhône.
Sur l’aire de Saint-Péray, les ‘sols sableux d’arène’ se logent principalement au dessus de l’altitude de ±190 mètres et certainement au dessous de l’altitude de ±350 mètres, aux endroits exposés à l’Est et au Sud. Le bas de versant est constitué surtout ‘d’éboulis et de sables de bas de pentes granitiques’, du gore. Les alluvions fluviales anciennes du Rhône se sont accumulées jusqu’à ce dernier niveau.


3.3 → Secteur sédimentaire des larges rives de la vallée du Mialan: abondantes alluvions associées à un trajet antérieur du Rhône

Il importe en premier lieu de mentionner qu’au Pliocène (fin de l’ère tertiaire), puis au Quaternaire, le Rhône a ‘provisoirement’ modifié son trajet pour aller s’encaisser dans le granite immédiatement à l’Ouest du longiligne massif du Crussol, différemment qu’à l’Est tel qu’actuellement; soit selon une entrée de ‘détour’ à Saint-Péray et une réintégration à Charmes-sur-Rhône. Dans le secteur de la commune même de Saint-Péray, ce tracé ancien du Rhône s’inscrivait dans la vallée actuelle du Mialan. Ce phénomène par lequel le Rhône s’est encaissé en quelques endroits − aussi à Tournon/Tain-Hermitage, Saint-Vallier et Vienne − dans la bordure du Massif Central plutôt que de poursuivre son cours sur sa lisière est désigné ‘épigénie♦.

L’époque du Quaternaire a été marquée par plusieurs cycles de glaciation: Günz (- 900.000 ans), Mindel (- 400.000 ans), Riss (- 180.000 à – 100.000 ans) et, la plus ‘récente’, Würm (- 70.000 à – 20.000 ans. Au sein du considérable bassin versant du Rhône − lequel englobe notamment d’importantes ramifications prenant leur source en amont dans les Alpes et ses contreforts à l’Ouest − les courants en furent prodigieusement surchargés lors des phases de dégel. Les torrents furieux ont alors charrié des masses d’agrégats − argile, limon, cailloutis, etc − arrachés au socle alpin et ont conséquemment généré des sédimentations magistrales en aval, notamment dans le lit même du Rhône. À Saint-Péray, les alluvions (ou sédimentations) fluviales se sont accumulées sur une épaisseur de ±40 mètres dans la vallée du Mialan.
Les rives de la vallée, entre les altitudes  ±150 mètres et ±190 mètres, sont ainsi recouvertes de ce type de formation superficielle, laquelle nappant substantiellement le substratum, succède du coup à celui-ci en tant que roche-mère. Ce type de roche-mère’ très propice à la viticulture qualitative, s’observe aussi ailleurs en Rhône-Nord sur la partie Sud-Est de l’aire de Hermitage et sur le … de Crozes-Hermitage, en vertu du même phénomène.

Les passages du Rhône dans la dépression de Saint-Péray‘ de Pierre Mandier document ce contexte.

Cette singularité, l’épigénie, se constate présentement en quelques autres endroits sur le parcours du Rhône, entre autres à Tournon/Tain l’Hermitage, Saint-Vallier et Vienne/Seyssuel (142); nous en traitons d’ailleurs dans les topos de vignobles sur Hermitage et Seyssuel.



 5 ⇒ Bibliographie

Bibliographie spécifique

√ Huser Simone, ‘Les vins de Saint-Péray‘, 1948
Maigne P. ‘Nouveau manuel du sommelier et du marchand de vin’ 1919
√ Mandier Pierre, ‘Les passages du Rhône dans la dépression de Saint-Péray‘, 1974
√ Savelli Marie-Thérèse, ‘Saint-Péray, centre viticole et vinicole‘, 1946
√ Wolikow Claudine, ‘De territoires en terroirs du vin: le casse-tête législatif des appellations d’origines (1905-1935)‘, 2018
√ ‘Recueil des décrets d’appellations d’origine‘, Bulletin du comité national des appellations d’origine, 1937-1938
Site des producteurs de l’appellation Saint-Péray
Décret d’appellation Saint-Péray
Magasine Saint-Péray

Bibliographie afférente aux productions portant sur la région du Rhône septentrionnal

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