Un destin en mutation

Jules Lavalle (2), dans son ouvrage de 1855, ‘Histoire et statistique de la vigne et des grands vins de la Côte d’Or’, qui est devenu une des références majeures de  l’édification des appellations de la Bourgogne, écrivait sur le vignoble de Marsannay ”qu’il a perdu peu à peu ses grands vignobles. Le gamet (gamay) a monté peu à peu sur le coteau et le ‘Clos du Roi’ lui-même est aujourd’hui son domaine. Au siècle dernier le vignoble était encore en grand renom.” Le ‘Clos du Roi’ de Chenôve fut élevé en cru célèbre par les ducs de Bourgogne au 15e siècle.

Le potentiel des terroirs du versant de Marsannay était bien connu de la classe gouvernante -seigneurs et église- dès le Moyen Age. Au 15e siècle, l’évêque de  Langres/Dijon, en autorité sur le territoire de Marsannay, se réservait déjà une partie de la récolte sur le coteau en exploitation directe ”pour ce qu’il croit bon vin”. Si le potentiel du coteau selon une exploitation en pinot était reconnu, il n’en céda pas moins tout son espace au 19e siècle à la culture du gamay. Celui-ci générait alors une meilleure rentabilité en desservant en vins ordinaires l’immédiat marché de Dijon, alors en forte expansion -la bière n’étant pas encore devenu un breuvage de masse. En fait, historiquement et jusqu’à il y a quelques décennies, Marsannay était soudée à la Côte dijonnaise, la désignation prévalant alors -de manière anecdotique aujourd’hui- pour le vignoble allant entre autres de Dijon à Gevrey-Chambertin.

Après la crise phylloxérique, approximativement de 1875 à 1890, le vignoble de Marsannay, dévasté comme les autres, passa en mode de dilettante. L’urbanisation de Dijon était au seuil de Marsannay et la spéculation urbaine, pressante, déstabilisa l’activité séculaire du vin. Aussi, à Dijon, le marché de gamay de la côte dijonnaise avait été substitué par d’autres produits arrivant par un nouveau mode de transport, le train. De plus, tandis que le monde viticole était en crise, la situation économique de Marsannay, plutôt tournée sur Dijon, était saine. Bref, la conjoncture du début du 20e siècle ne favorisa pas la réhabilitation d’emblée du vignoble de Marsannay. Si bien qu’il ne fut pas envisagé au cours des années 1920 et 1930 de solliciter une appellation d’origine, contrairement aux finages voisins de Fixin, Gevrey et autres qui s’affairèrent à obtenir la leur. Il en résulta que l’aire de Marsannay fut inscrite dans celle de l’appellation régionale ‘Bourgogne’. Après la conversion du vignoble en faveur du gamay au 19e siècle, et sa dilettante de l’après crise phylloxérique, le parcours vers l’obtention d’une appellation communale s’est avéré une assez longue sortie de ‘purgatoire’: Dynamique vigneron de Marsannay, Joseph Clair Daü initie à Dijon la vogue du rosé de pinot noir en début des années 1920. La plantation en Pinot noir se développe. Dans la foulée, la coopérative locale fait un succès du Bourgogne rosé -l’appellation régionale ‘Bourgogne’ ayant été créée en 1937. En 1965, une entrave juridique enraye une première demande de classement ‘communal’; en revanche les nouvelles désignations de ‘Bourgogne de Marsannay’ et ‘Bourgogne rosé de Marsannay’ sont décrétées. En 1979 et en 1983, le camp ‘sudiste’ (Corgoloin et Comblanchien) de l’appellation Côte de Nuits Villages entrave le projet d’intégration de Marsannay à ladite appellation (rappelons qu’une section du vignoble de Brochon, deuxième voisin au sud de Marsannay, est désignée en Côtes de Nuits Villages; et que les producteurs de l’AOC Fixin, l’immédiate voisine au sud, ont la faculté de désigner leurs vins rouges en Côtes de Nuits Villages). C’est en 1985 que Marsannay acquiert le statut d’appellation communale. Au final, l’obtention de l’appellation communale Marsannay est un meilleur sort qu’une filiation à l’appellation Côte de Nuit-Villages.

Marsannay aurait-elle pu obtenir un statut d’appellation communale dès la création des appellations d’origine?

Même si le milieu eut manifesté une volonté d’obtenir une appellation dans la mouvance de la création des appellations, il lui aurait été difficile de s’appuyer sur les ‘bons usages, loyaux et constants’, qui fut le puissant principe juridique ayant prévalu durant les années 1920 à la fixation des premières appellations, alors simplement désignées ‘Appellations d’Origines’. En bref, le milieu s’était en quelque sorte coincé lui-même en misant sur le gamay durant le siècle ayant précédé les appellations!

(2) Jules Lavalle: Après Denis Morelot (1831), Jules Lavalle en 1855 est le deuxième essayiste a rédiger un ouvrage consacré au vignoble de la Côte d’Or, ‘Histoire et  Statistique de la Vigne et des Grands Vins de la Côte d’Or’. Docteur en médecine et en sciences naturelles, il fut professeur à l’école de médecine de Dijon, directeur de jardin botanique municipal, membre de la Société géologique de France et du Comité Central d’Agriculture de la Côte-d’Or et rédacteur de la ‘Revue horticole de Dijon’. Son ouvrage établit notamment une première hiérarchie systématique des climats, par commune, selon trois classes de cuvées, tout en mettant en exergue les ”Têtes de cuvée’. Les climats de Marsannay ne reçoivent toutefois pas de lclassement dans son ouvrage.