Révisé: février 2022
“Même s’il porte le nom de clos, la plupart ont perdu leurs murs avant le 19e siècle et beaucoup n’en ont jamais possédé. Il n’ont jamais (plutôt rarement) été des monopoles, ou alors en des temps très reculés et largement antérieurs à la révolution... Au 18e siècle, les institutions religieuses et les grandes familles de la province se partagent les meilleurs climats. En décidant la vente des ‘biens nationaux’, la Révolution bouleverse la propriété et satisfait les vœux de la moyenne bourgeoisie, la classe montante. Il s’agit des premiers négociants en vins, mais aussi des marchands dijonnais, parfois d’affairistes parisiens comme Jules Ouvrard qui s’implante non seulement au Clos Vougeot mais aussi à la Romanée-Conti, en Chambertin, etc. Rares sont les vignerons qui bénéficient de cette distribution patriotique des terres. Le 19e voit se développer la propriété bourgeoise. L’ascension sociale réalisée par les plus entreprenants passe alors par le négoce. Les vignerons se portent acquéreurs des vignes à partir du début du 20e siècle et créent graduellement, de père en fils, leur domaine respectif. “ Jean-François Bazin, ‘Chambertin’ 1991 |
⇒ Première moitié du 20e siècle
• Quelque moments importants en viticulture au cours du premier demi siècle:
√ 1902 – La contraction de la superficie du vignoble est de 12% comparativement à la période précédant la crise phylloxérique (fin du siècle précédent). Le rétrécissement touche surtout les vignobles les plus médiocres.
Le réaménagement des vignobles post crise phylloxérique s’effectue pied par pied (greffage sur souches américaines) et en rangées. Ce réaménagement relègue ainsi au passé le ‘provignage’, ou ‘complantation en foule’; mode de plantation qui générait de petits rendements malgré une forte densité de plantation, de l’ordre de 40/50 000 pieds/hectares. La poursuite de la replantation des vignobles s’étendra jusque dans les années ’50/’60.
Illustrations de provignage, la pratique de renouvellement des vignes avant le 20e siècle. (Image extraite du site regardsetviedauvergne.fr)
√ Vers 1910 – La replantation du vignoble en ligne, et non plus ‘en foule’ comme avant le phylloxéra, ce qui permettra l’entrée en scène du cheval dans les vignes, vers 1910. Vers 1939, la moitié des vignerons de Gevrey-Chambertin ont un cheval.
√ Période de l’entre deux guerres: La crise phylloxérique, les mutations de la demande des marchés urbains comme Paris − suscitées par l’évolution du transport par le train −, la Grande Guerre, la mévente, et autres entraînent des contractions importantes dans l’exploitation viticole de La Côte bourguignonne et ses secteurs environnants, la plaine adjacente et les Hautes Côtes: 23 175 ha en 1878 (de grandes superficies sont alors plantées en vins de masse issus du gamay, lesquelles sont subséquemment abandonnées); 20 250 en 1902; 17 000 en 1913; 13 000 en 1929; 11 000 en 1931 à 8320 en 1943.
√ Période de l’entre deux guerres: La maîtrise de toute la filière viti-vinicole par les vignerons débute véritablement par le mouvement coopératif durant la période de l’entre deux guerres. Les équipements des coopératives sont modernes. Il s’agit d’une forme de révolution. Entre les deux guerres, les coopératives vinifient jusqu’à 75% de la production locale. Chaque village possède jusqu’à deux ou trois coopératives.
• Contexte institutionnel:
• 1900 – Relevant du Ministère de l’Agriculture, création en 1900 de la Station Œnologique de Beaune: laboratoires d’analyses (destinés alors principalement à la répression des fraudes), recherches scientifiques, cours théoriques et pratiques d’œnologie, …
• Jalons majeurs de constitution des appellations:
√ 1905-1907 – Promulgation le 1er août 1905 de la Loi sur la répression des fraudes et des falsifications de produits ou de services. Celle-ci prévoit aussi la création de ‘Délimitations Administratives’. La Loi entraîne une vague de créations de syndicats de producteurs dans tous les vignobles de France en vue de la lutte judiciaire pour contrer les fraudeurs. En Côte d’Or, une myriade de syndicats se crée à l’échelle locale. Ces syndicats seront autant de vigies face aux fraudeurs.
√ Une première tentative de délimitation, en Champagne, fut très tumultueuse et infructueuse; voir.
√ La Loi du 29 juin 1907 interdit le mouillage des vins et les abus du sucrage. Elle impose une déclaration des récoltes, des stocks, l’interdiction des vins artificiel et une surtaxe sur le sucre. Cette Loi fait notamment suite à des révoltes majeures par le milieu viticole dans le Languedoc.
√ 1919 – Loi du 6 mai 1919 sur la ‘Protection des appellations d’origine (AO)‘. Les discussions sur la Loi des AO (non pas AOC) remontaient au projet de Loi Jules Pams en 1913, donc avant la Première Guerre Mondiale. La Loi des AO suit l’échec des ‘Délimitations Administratives’ de 1905. Le but de la Loi de 1919 consiste encore à contrer les fraudes. Son objet est la mise en place d’Appellations d’Origine (AO), définies proprement selon le lieu de récolte des intrants, celui des raisins. Les produits factices et d’assemblages sont réprimés, expressément les produits ‘d’équivalence’ ou dit de ‘qualité substantielle’♦ qui sont produits par les négociants à partir d’intrants variés. La Loi instaure entre autres la tenue de registres d’entrées et sorties, c’est à dire une méthode de traçabilité du vin, de la vendange (déclaration de récolte) à la consommation.
♦ Le commerce est libre et autonome depuis le décret de libre circulation des biens de 1776 (édit de Turgot) et la disparition des officiers communaux de contrôle. Les négociants sont devenus les seuls intervenants du marché du vin. Le commerce du négoce s’appuie alors sur des marques et surtout sur des dénominations référentielles.
Les dénominations utilisées par le négoce s’appuient sur le principe de l’équivalence, ou encore sur la règle de la ‘qualité substantielle’, c’est à dire selon les critères attribués respectivement à des vins-type par les intervenants de la chaîne commerciale en vertu d’usages courants. À titre illustratif, les négociants élaborent et commercialisent des ‘Pommard’, typés, c’est à dire étant associés aux références organoleptiques communément reconnues pour ‘Pommard’. La conception était toutefois entièrement libre: assemblages fréquents de diverses provenances, adjonctions diverses, substituts, etc. Les noms des principales communes (Gevrey-Chambertin, Corton, Beaune, …) ou des climats réputés sont des dénominations référentielles utilisées par le négoce.
Dans maintes communes, des syndicats avaient été créés à partir de 1905 pour exercer des vigies face aux fraudeurs. La Loi du 6 mai 1919 sur la ‘Protection des Appellations d’Origine‘ modifie la donne. Ce sont partout en Côte d’Or des ‘syndicats de défense’ qui se constituent cette fois en fonction des territoires, communes ou crus, susceptibles d’acquérir une Appellation d’Origine en vertu des ‘usages locaux, loyaux et constants’. Entre autres, à Gevrey-Chambertin, à côté du syndicat de défense voué à l’obtention d’une AO ‘Gevrey-Chambertin’, se crée aussi un syndicat spécifiquement consacré au projet d’une AO ‘Chambertin’. Les producteurs d’Aloxe-Corton se forment un syndicat de défense pour revendiquer une AO d’origine ‘Corton’ qui soit strictement réservée aux climats nobles de leur seule commune. Ainsi de suite…
La Loi fit intervenir les tribunaux civils locaux (tribunal civil du lieu d’origine du produit dont l’appellation est en cause) en tant qu’instances décisionnelles pour fixer les ‘Appellations d’Origine’. Les syndicats de défenses constituèrent des intervenants proactifs essentiels◊ dans le contexte engendré. Jusqu’en 1935, le tribunal détermina judiciairement une à une des AO en se référant aux ‘usages locaux, loyaux et constants’.
◊ 1920 – Loi du 12 mars 1920 sur l’extension de la capacité civile de syndicats professionnels: les syndicats obtiennent la capacité d’ester en justice. En regard de la Loi sur la Protection des appellations d’origine, maints syndicats modifient leur statut et dénomination pour y intégrer l’aspect de défense de leur intérêt (exemple: syndicat de défense des intérêts viticoles de Gevrey-Chambertin); ou encore des syndicats parallèles ‘de défense d’intérêt’ prennent naissance. La nouvelle mosaïque des syndicats reflète systématiquement les enjeux d’appropriations d’appellations. Bref, pour chaque producteur, le choix d’adhésion syndicale est déterminant.
Le syndicat (de défense) des viticulteurs d’Aloxe-Corton se sont opposés en justice à l’inclusion de climats de la commune de Ladoix dans l’AO ‘Corton’.
La carte est une réalisation de Olivier Jacquet, expert du contexte de la Loi de 1919 et auteur du livre ‘Un siècle de construction du vignoble bourguignon – Les organisations vitivinicoles de 1884 aux AOC‘. ‘Saint-Jacques’, ou ‘Clos Saint-Jacques’, qui obtint une Appellation d’Origine en 1931 devrait aussi figurer sur la carte.
• Jalons au sein du foncier / Côte d’Or:
√ 1920 – Quinze hectares (sur ±50 ha) du Clos de Vougeot, avec bâtiments dans l’enceinte, sont vendus à 22 vignerons par Léonce Boquet.
√ Décennie 1920 – Durant les années 1920, après la Grande Guerre, le vignoble bourguignon est dans le marasme. Plusieurs vignobles changent de mains. De nombreux bourgeois vendent leurs vignes aux vignerons et domaines établis. Cette mutation de la propriété foncière fait apparaître et/ou agrandir les propriétés vigneronnes.
• Jalons de constitution des AO:
√ 1927 – La Loi ‘Capus’ du 22 juillet 1927 vient compléter explicitement celle du 6 mai 1919 en introduisant la notion d’encépagement dans la délimitation des Appellations. En effet, l’article 3 stipule qu’indépendamment des prescriptions relatives à l’origine, aucun vin n’a le droit à une appellation d’origine s’il ne provient pas de cépages et d’une aire de production consacrés par ‘les usages locaux, loyaux et constants’. En Bourgogne, deux écoles de pensée s’affrontent: les défenseurs de l’emploi exclusif du cépage Pinot noir pour l’appellation ‘Bourgogne’, logés en Côte d’Or ; et les tenants de l’emploi également du Gamay, particulièrement les producteurs du département de la Saône et aussi des Hautes-Côtes.
√ 1921, 1924, 1928 – ‘Montrachet’ est la première ‘Appellation d’Origine‘ AO (non pas ‘AOC’) à être fixée le 17 février 1921 par le Tribunal de Beaune; puis ‘Bourgogne’ le 10 décembre 1924; ‘Gevrey-Chambertin’ en 1928, etc.
√ 1930 – Révision le 29 avril du jugement de délimitation de la Bourgogne, qui intègre officiellement le Beaujolais.
• Contextes divers:
√ 1905-1931 – Les rivalités régionales sont exacerbées par le problème de la surproduction nationale. Dans ce contexte, la chaptalisation devient une préoccupation d’ordre national. Épisodiquement, à partir de 1905, lors de tractations nationales en préparation de Lois, des représentations sont menées par les producteurs du Sud de la France visant la subrogation du droit de chaptaliser afin de contrer la surproduction. Notamment, en 1925, via La Ligue des Viticulteurs de la Gironde, la viticulture bordelaise intervient en faveur de la suppression du sucrage en première cuvée. Les vignobles septentrionaux sont directement concernés, dont évidemment la Bourgogne. / La Loi du 4 août 1929 abaisse, entre autres, la limite d’usage du sucre par hectolitre.
√ Vers 1935 – En période de crise de mévente, début progressif de la commercialisation de vins mis en bouteilles et identifiés aux noms de leurs producteurs.
√ 1910-1950 – Si au 19e siècle, les propriétaires sont en bonne partie des bourgeois qui confient le travail des vignes à des vignerons autonomes, au 20e siècle les grandes propriétés appartiennent de plus en plus à des individus, issus du milieu vigneron, exploitant eux-mêmes leur propriété. Le grand-père qui achète des vignes délaissées ou abandonnées après la Grande Guerre; le père qui acquière à bon prix durant la crise des années 1930; et le fils qui maintient les activités à partir des années 1950.
√ Après la Grande Guerre – Le cheval fait son entrée en scène dans le vignoble; alors que l’armée française se sépare de milliers de chevaux. La progression est toutefois assez lente, qu’après l’abandon des échalas (ou paisseaux) − plantés assez serrés sans aucun arrangement − en faveur de la généralisation du palissage enligné sur fils de fer.
• Jalon décisif de constitution des Appellations:
√ 1935 – Promulgation le 30 juillet 1935 de la Loi des Appellations d’Origine Contrôlée, les AOC. Le Comité National des Appellations d’Origine (CNAO) est créé. Organisme décideur doté de la personnalité civile, il est mandaté pour fixer les AOC. Le CNAO consulte entre autres des experts et arbitre après avoir entendu les représentations des syndicats respectivement concernés.
• Quelques étapes de constitution des AOC:
√ 1936 – 8 décembre: désignation formelle de la première ‘AOC’ bourguignonne, l’appellation Morey-Saint-Denis.
√ 1937 – 31 juillet: désignation de l’AOC ‘Bourgogne’.
√ 1943 – 14 octobre 1943, un décret instaure la nouvelle catégorie des Premiers Crus, strictement pour le millésime 1943! Ce niveau est néanmoins maintenu par la suite.
⇒ Deuxième moitié du 20e siècle
• Contextes:
√ Après 1950: évolution graduelle de la mécanisation, dont le travail des sols avec tracteur.
√ Période 1950 -1980: La vente directe par les propriétés viticoles s’accroit progressivement; elle se développe résolument à compter des années 1970. Deux facteurs particuliers stimulent la mise en bouteilles à la propriété: l’achat direct par les citadins chez les producteurs et l’intérêt de la clientèle des États-Unis pour les produits de vignerons.
→ Jalon de constitution des Appellations
1986 : S’officialise la dernière opération de délimitation de l’aire de l’appellation ‘Chablis’ et la fixation des Premiers Crus de Chablis: 79 lieux-dits soudés en 40 climats, lesquels sont regroupés en 17 Premiers Crus ‘principaux’. Voir dans ‘topos de vignoble/Chablis’ l’onglet Histoire‘ / le ‘théâtre de de la mise en place des appellations’
⇒ Aujourd’hui
• Contexte
Les négociants détenaient encore une position prédominante sur le marché du vin bourguignon au début des années 1970, soit 95% de la commercialisation de la production totale. Actuellement, la commercialisation directe par les producteurs (mise en bouteilles aux domaines) représente plus de 30% de la valeur totale des ventes de vins de Bourgogne.
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