Révisé: novembre 2022
• Contexte d’époque
1665 – Le ‘vin de Beaune’ est considéré ‘le plus agréable et le plus salutaire’ par la faculté de Médecine de Paris. / Fagon, médecin de Louis XIV (1638-1715) pendant les 23 dernières années de ce Roi Soleil, Iui prescrit la consommation du vin de Bourgogne en guise d’antidote à ses divers maux. Fagon, qui n’a pourtant aucun lien avec la Bourgogne, en devient malgré lui un formidable promoteur puisque les médecins sont des prescripteurs de mode par leur prédilection pour une origine de vin plutôt qu’une autre. / En 1741 l’Hôtel Dieu de Paris achète 407 feuillettes (46 000 litres) de Chablis pour des fins thérapeutiques!
• Jalons majeures: Fin du 17e / début du 18e
Durant la période couvrant la fin du 16e et le 17e siècle, le ‘vin issu de raisins à peau rouge’ connaît, partout, une métamorphose considérable. Il était soumis auparavant à une très courte cuvaison et un élevage sommaire; il sera dorénavant élaboré avec davantage de couleur et de corps, au moyen d’une extraction tangible et un élevage allongé. C’est aussi le moment correspondant à l’industrialisation de la bouteille, contenant qui confère alors une meilleure capacité de vieillissement au vin.
En Bourgogne, la pratique de la vente du vin, qui avait cours systématiquement en novembre, est décalée progressivement jusqu’en février suivant la vendange. Du coup, ce sont des vins plus aboutis et, partant, plus caractérisés qui sont commercialisés. Concurremment, l’appréciation des vins subit une évolution graduelle et irréversible. Le cru − exemple: Chambertin − devient une notion commerciale vers la fin du 17e siècle. Notamment, au cours des dernières décennies du 17e et des premières du 18e, le taux des gros fruits(1) de Chambertin et du Clos de Bèze passe graduellement du prix plancher au sommet de la grille des taux sur le marché de la Côte dijonnaise (Gevrey y était rattaché / voir la carte ci-après). En fait, les climats Chambertin n’étaient tout simplement pas distingués auparavant, assimilés qu’ils étaient à la catégorie ‘Montagne et autres pays circonvoisins’.
(1) Prix payés aux viticulteurs.
Finages du Dijonnais autour du 17e siècle. Carte extraite de ‘La construction des climats viticoles en Bourgogne, la relation du vin au lieu au Moyen Âge.’ des auteurs principaux Jean-Pierre Garcia et Thomas Labbé (2014).
Un vignoble ceinturait alors a cité de Dijon, le Dijonnnais. Celui-ci incluait entre autres les finages de Marsannay, Fixin et Gevrey-Chambertin. Le Dijonnais occupa une place importante dans l’histoire vinicole de la Bourgogne. Après la crise phylloxérique de la fin du 19e siècle, ce vignoble fut substitué par l’occupation urbaine.
Taux payé aux viticulteurs.
Avant le 17e siècle, sur le marché important de la Côte Dijonnaise, l’appréciation des vins obéissait globalement à un barème d’éloignement par rapport au cœur de Dijon. Le degré de notoriété d’un vin, et de façon corollaire son prix, augmentait graduellement, par bandes concentriques, au fil du rapprochement à Dijon; le vin de la ville même étant bien entendu le plus prisé. Bref, le prestige de la ville se reflétait directement sur son vignoble immédiat. Ainsi au milieu au 16e siècle (1558 ci-haut), étant les plus éloignés de Dijon, tous les vins de la commune de Gevrey − alors à l’extrémité de la Côte dijonnaise, sous ‘La Montagne et autres pays circonvoisins’ − étaient rattachés à la dernière tranche de prix, la moins chère.
Les climats sont graduellement caractérisés, valorisés, au cours des 17e et 18e siècles, si bien qu’en Côte Dijonnaise les climats Chambertin et Bèze figurent au haut de la pyramide d’intérêt et de prix en 1775.
Les grilles de prix proviennent de l’article ‘La construction des climats viticoles en Bourgogne, la relation du vin au lieu au Moyen Âge’.
Ainsi, au Moyen Âge quelques vignobles sont déjà notoires, nommément des clos devenus depuis des Grands Crus, les vins de La Côte sont généralement désignés et commercialisés en ‘vins de Beaune’ et ‘vins de Dijon’. C’est au 17e et 18e siècle que les vins sont graduellement hiérarchisés, que les appellations sont en germination. Outre les vins de quelques crus phares qui sont nommés individuellement, les vins sont désignés au tournant du 17e au 18e sous des noms de communes, une douzaine, servant alors de porte-drapeaux. Puis la distinction des lieux-dits, des futurs climats, s’établit peu à peu à partir de 1760-1770.
Thomas Jefferson écrivit en 1787: “On prétend que les vignobles jouxtant ceux qui donnent ces crus (parlant de Chambertin et Montrachet) produisent des vins de même qualité mais, appartenant à d’obscurs anonymes, ces vins ne se sont pas faits de noms et se vendent par conséquent aux prix des vins ordinaires.”
Devenus les principaux intervenants du commerce vers 1740-1750, les négociants exploitent des noms de climats (exemple: Chambertin) et de finages (exemple: Gevrey) en tant que facteur de distinction, de subtilité de marketing; ces noms sont en quelque sorte des produits. La ‘matière première’, le raisin, n’est pas nécessairement issu du lieu rattaché au ‘produit’; un ‘Gevrey’ peut alors inclure des raisins de Morey, en autant que le vin, le produit, corresponde à ‘l’étalon’ Gevrey.
La ‘parcellisation’ du vignoble devient un phénomène culturel au 18e siècle.
Les parlementaires et les nobles de robe (droit et finance), l’aristocratie, se portent de plus en plus acquéreurs de vignes dans les meilleurs terroirs. Impliqués, les nobles font fièrement la mise en valeur et la promotion de leur vignoble. Le phénomène contribue à la différenciation des climats.
Lors de changements de mains de propriétés, la désignation des parcelles par leur nom de lieu-dit est systématique. / Les toponymes sont relativement inchangés depuis le 13e siècle.
Le terme ‘climat’, spécifique à la Bourgogne pour désigner une parcelle individualisée, a prévalu selon une évolution. Il est généralisé au 17e siècle dans les actes juridiques relatifs au foncier. Au 18e siècle, il est occasionnel dans le lexique vinicole, bien que son sens varie selon les ouvrages de référence de ce siècle. Le mot devient spécifique au parcellaire viticole au 19e siècle, puis une expression courante, possédant une connotation culturelle. / L’emploi le plus ancien connu de ‘climat’ dans son sens viticole est attribué en Côte d’Or aux chanoines de Saint-Mamet de Langres relativement à leur Clos de Bèze, en 1584.
• Jalon culturel / viticulture
1719 – La première ‘société de secours mutuel’ bourguignonne, dite de ‘St-Vincent’ est mise sur pied à Volnay. Les sociétés d’entraide comportent des règles de support mutuel en cas de nécessité liée à une maladie, un décès, ou autres.
La photo montre un des traditionnels défilés associés annuellement, à la fin de janvier, à la St-Vincent tournante.
St-Vincent est le patron des vignerons. Wikipedia.org nous apprend que ‘les manifestations traditionnelles de la Saint-Vincent avaient enregistré un déclin au début du 20e siècle avec la laïcisation de la société. Le 22 janvier 1938, la Confrérie des Chevaliers du Tastevin relance les manifestations liées à la Saint-Vincent et organise la première Saint-Vincent tournante d’envergure à Chambolle-Musigny. Il n’y a alors que six sociétés (communales) de Saint-Vincent dans le défilé mais elles seront 53 en 1965.
Les St-Vincent sont des événements qui débordent le cadre local et régional. Les bourguignons sont des spécialistes des relations publiques: les Hospices de Beaune, La Paulée de Meursault, le Tastevinage de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin, Les Grands Jours de Bourgogne (réservé aux professionnels du vin), etc.
• Jalon de commerce du vin
1720 – Fondation de la première maison de négociants à Beaune, la maison Champy; celle de la maison Bouchard survient en 1731. / Les négociants émanent de la profession des commissionnaires, assermentés, dont le rôle consistait à faire des achats et organiser la logistique des expéditions pour le compte de clients étrangers.
• Jalon culturel / publication
1728 – Publication du premier livre consacré aux vins de Bourgogne: ‘Dissertation sur la situation de la Bourgogne, sur les vins qu’elle produit, … ‘ écrit par l’Abbé Claude Arnoux. Né à Beaune (1695-1770), il réside à Londres lors de la rédaction de son livre. Le livre est resté dans l’anonymat pendant près de trois siècles, jusqu’à ce qu’il soit débusqué en 1914 lors de consultations des catalogues du British Museum. La ‘dissertation’ en question contient la première carte, archaïque, du vignoble de La Côte. L’auteur commente plusieurs crus de la Côte et fournit des conseils d’achats. Le premier guide de vins en quelque sorte!
La carte, rudimentaire, de la Côte d’Or du livre de Claude Arnoux.
Le cours d’eau principal illustré est celui de la Saône, un affluent du Rhône.
Le point focal est la confluence de la Saône et du Doubs. À ce point, soit approximativement à Verdun-sur-le-Doubs, l’endroit le plus rapproché de La Côte à vol d’oiseau est Meursault, à ±25 km.
La rivière à droite, de haut en bas, est l’Ouche dont le cours traverse Dijon qui est finement indiqué à la lisière de la carte.
La Côte est le premier talus de la zone montagneuse de l’illustration. Claude Arnoux désigne des endroits tout au long de La Côte: Partant de Dijon à droite: Fontaine, Chambertin, Moron (Morey), Clos de Vougeot, Nuits, … , Beaune, Pommard, Volnet (Volnay), Montely (Monthélie), Mursault (Meursault), …
• Jalon de commerce du vin
1755 – La création de la Verrerie d’Épinac (±30 km à l’Ouest de Beaune, vers Autun) favorise la commercialisation en bouteilles. Vers 1780, la majorité des exportations sont effectuées en bouteilles.
• Jalon de construction du vignoble / Côte d’Or
1760 – Louis-Philippe de Bourbon, prince de Conti (région de la Picardie, à l’extrémité septentrionale de la France) acquiert le Clos La Romanée. Le clos a d’abord appartenu au monastère clunisien de St-Vivant de Vergy, puis a changé de propriétaires à quelques reprises au cours des deux siècles qui ont précédé l’acquisition par le prince de Conti.
→ Jalons culturels / publications
1763 – Publication de l’ouvrage ‘Remarques sur la culture des vignes de Beaune et lieux circonvoisins’ rédigé par l’Abbé François Tainturier.
1770 – Parution du livre ‘Œnologie, ou Discours sur la meilleure méthode de faire les vins et de cultiver la vigne’ du notable dijonnais Edmé Béguillet. Avocat au Parlement de Dijon et conseiller auprès du roi, il a aussi publié des ouvrages érudits sur l’agriculture, l’histoire et l’économie rurale.
→ Jalon institutionnel et de commerce du vin
1776 – Par un édit de Louis XVI, la libre circulation commerciale du vin est promulguée sur toute l’étendue du royaume. Auparavant, des droits et des contraintes étaient appliqués à l’entrée des villes et au passage de bornes régionales et autres.
→ Jalon culturel / publication
1779 – Dom Denise, moine cistercien italien, séjourne en Côte d’Or vers 1779. Il produit un remarquable mémoire sur les pratiques viticoles et œnologiques en Côte d’Or par les moines côte d’orien de son obédience. L’essai comprend aussi des commentaires sur les finages et les crus notoires: “… dans le climat de Nuits, les différents lieux sont Saint-Georges, Les Didiers et Vaucrains. Tous les vins qui viennent de ces climats sont excellents.” Les aspects afférents à la culture de la vigne, la vinification et l’élevage y sont couverts soigneusement. L’étude s’avère en quelque sorte une adaptation pour la Côte d’Or du ‘Théâtre d’Agriculture et Mésnage des Champs’ d’Olivier Serres, publié en 1600, premier ouvrage associé à l’œnologie. Le traité original, en italien, de Dom Denise fut trouvé assez récemment dans une bibliothèque de Florence et traduit en français.
→ Contexte institutionnel et de construction du vignoble
1789-1793 – La vente des ‘Biens publics’ conséquente de la Révolution, comporte la disposition par encan d’un large patrimoine de parcelles réputées ayant été confisquées à la noblesse et au clergé: 1361 hectares de vignes. Les acquéreurs sont principalement des spéculateurs parisiens et des maisons de négociants, ces derniers pour consolider leur propre vignoble. En fait, les ¾ passent aux mains de la bourgeoisie et le reste, surtout des petits lots, est acquis par les paysans.
Les négociants sont nombreux à acheter des tours et des bastions des Remparts et du Castrum de Beaune lors de la vente des ‘Biens Publics’ (1789-1793). Ils y aménagent des caves, dont plusieurs sont encore en place et toujours utilisées, nommément celles des maisons Chanson, Bouchard Père et Fils et Joseph Drouhin (Castrum de Beaune).
→ Jalon institutionnel
1790 – Charles-André-Rémy Arnoult, député de l’Assemblée de 1790, est l’instigateur de la désignation du nom de Côte d’Or au département 21.
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