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Fleurie: fines fleurs de l’AOC

Fleurie vin féminin?!

À droite, il s’agit de l’image promotionnelle générée par la Maison du Cru du Fleurie: ‘Le Fleurie, le vin le plus féminin des 10 crus du Beaujolais’. En réalité, cette image ne colle pas aux vins de Fleurie (voir le segment ‘Au sujet de l’image de vins ‘féminins” de la couverture ‘Fleurie: breffage‘)
Qu’à cela ne tienne. Dans cet onglet-ci, mettant en évidence quelques producteurs de l’appellation, nous n’avons choisi que des femmes, des productrices de vins de Fleurie. Les trois sont élégantes, tout en étant ambitieuses, déterminées et douées. Des femmes de caractère, produisant des Fleurie de caractère.

⇒ Audrey Yves-Charton, Domaine du Clos des Garands (2019)

Les bâtiments du Domaine du Clos des Garands

À notre avis, c’est présentement la personnalité de la viticulture de Fleurie.
Avant de traiter de son travail de vigneronne, il importe d’évoquer, si brièvement soit-il, l’implication de Audrey Yves-Charton à la présidente de l’Union des Crus du Beaujolais, une ODG (Organisme de Défense et de Gestion, reconnu par l’INAO). Elle anime ce regroupement créé en 2008, qui a initialement cherché à détacher administrativement (autant que possible) la promotion des vins du secteur des Crus de celle portant sur l’image générale du Beaujolais. Au cours des dernières années, elle a ajusté l’objectif de l’Union vers la détermination et l’homologation de Premiers Crus (‘montée en gamme’ selon l’expression adoptée par l’Union), une mission à long terme, il va sans dire. Nous la savons articulée et persévérante.
Sur un sol typiquement granitique, le vignoble du Clos des Garands, un des rares clos de l’aire de Fleurie, couvre six hectares sur le seul lieu-dit ‘Les Garants’ – Garands, nom original, aurait été inscrit Garrant lors de la refonte du cadastre – situé sur le versant Sud de l’importante dorsale, une colline allongée, située à l’extrémité Est de l’aire de Fleurie. ‘Les Garants’ est indiscutablement l’un des plus réputés terroirs de Fleurie. Le classement référentiel (1874) de Budker (voir ici) le désigne en Première Classe avec cinq autres lieux-dits de l’appellation, dont trois (Les Moriers, Poncié, La Roilette) sont aussi logés sur les flancs de la même convexité.
Audrey Charton délaisse la culture conventionnelle par étapes. Les désherbants ont été abandonnés et un travail des sols est maintenant réalisé au tracteur. La certification HVE3 a été obtenue. Certaines pratiques biodynamiques sont adoptées, notamment pour favoriser l’équilibre de la vigne. Réalisée en cuves de béton, la vinification est conventionnelle au Beaujolais, ‘semi-carbonique’. Les vins sont élevés principalement en foudres de chêne.
Du vignoble comprenant quasiment que des vieilles vignes, trois cuvées sont produites, en crescendo. La cuvée ‘tradition’ provient des vignes de 40 à 50 ans. La cuvée ‘Vieilles Vignes’ est issue de plants de ±80 ans générant un rendement de ±35 hl/ha. Les raisins de vignes plus que centenaires sont destinés à la ‘Sublime’. Le ‘Veilles Vignes’ est un Fleurie de référence; nos notes succinctes sur le  2011 dégusté récemment (juin 2019): construit, fruité intense (fruits noirs acidulés, violette, …), de la ‘classe’. Dégustés en octobre 2019, le 2013 et le 2018 montraient les mêmes caractères, plus souple sur 2013,  davantage structuré sur 2018 (année ayant produit des raisins avec peu de jus).


⇒ Marie-Élodie Zighera, Clos de Mez (2019)

 

 

 

 

Marie-Élodie Zighera − c’est son nom de fille, elle a épousé Jean-Pierre Confuron du Domaine Confuron-Cotetidot de Vosne-Romanée − a grandi à Paris et Lyon et malgré l’agitation urbaine autour d’elle, “à quinze ans je voulais devenir vigneronne“. Elle s’est concrètement rapproché de son but en poursuivant des études de BTS en Viticulture-Oenologie à Mâcon-Davayé, de Licence et Maitrise des Sciences de la Vigne à l’universitaire de Dijon et enfin un Diplôme National d’œnologue à Montpellier. Elle l’a atteint en créant en 2006 le domaine du Clos de Mez − Marie-Élodie Zighera − avec les vignes de la famille maternelle, dont les récoltes avaient été confiées à la coopérative au cours des deux générations précédentes. Le vignoble comprend 5,30 hectares dont 3,40 sur les lieux-dits Chapelle des Bois et Grand Pré de Fleurie, et 1,90 hectare sur le lieu-dit Château-Gaillard de Morgon.
Conduit en culture biologique depuis le tout début, la certification a été revendiquée en 2016, si bien que le millésime 2019 sera labellisé. Les vignes en gobelets sont palissées hautes pour permettre le travail des sols au tracteur. Les raisins sont triés à l’arrivée à la cuverie. Les transitions se font par gravité. Les pratiques deviennent toutefois singulières à la vinification pour les cuvées principales, le Fleurie ‘La Dot’ et le Morgon ‘Château-Gaillard. Autrement que selon la méthode contemporaine beaujolaise, ‘semi-carbonique’ , les fermentations sont conduites de façon bourguignonne. La vendange est conservée entière. Une légère infusion à basse température de quelques jours initie lentement la fermentation, puis celle-ci est poursuivie avec des pigeages et remontages sur deux à trois semaines. Les neuf premiers mois de l’élevage se déroulent en fûts pour une partie et en cuves pour l’autre. Après l’assemblage, les vins séjournent douze mois supplémentaires en cuves.
C’est en 2003 lors d’un séjour au Clos de Vougeot que Marie-Élodie Zighera décida de travailler, le jour venu, en vinification bourguignonne; “j’avais une force, la liberté de tout imaginer sans ligne de conduite imposée“. Une dégustation organisée par la RVF avait conforté mon choix, alors qu’un Morgon 1911 “avait aussi bien vieilli qu’une Romanée Saint Vivant. Il faut ici savoir les beaujolais étaient vinifié de façon classique au début du 20e siècle et non en ‘semi-carbonique’.
Les vins des premiers millésimes étaient solides et tendus. Ajustements effectués, ‘La Dot’ des derniers millésimes se montre plus fraîche, plus sapide, tout en demeurant de garde. Une autre cuvée de Fleurie, ‘Mademoiselle’, plus souple puisque conçue en semi-carbonique, est produite depuis 2015. Dégustée récemment (novembre 2019) ‘La Dot’ 2009: une aération de plusieurs heures s’est avérée pertinente, tannins déliés, aromatique engageant (fruits noirs, iris et violette), beaujolais distingué, aucune ‘ride’/clairement de garde.


⇒ Alexandra de Vazeilles, Château des Bachelards (2019)

D’entrée de jeu, soulignons que les vins de Crus du Château des Bachelards – Fleurie, Moulin-à-Vent et Saint-Amour –  sont remarquables. Des vins intenses et solidement construits, sans carence en fraîcheur, littéralement opposés à l’image du Fleurie féminin.
Propriétaire du Château des Bachelards depuis 2014 et dotée d’une personnalité très affirmée, Alexandra de Vazeilles adjoint à son nom le titre de comtesse, légitime par hérédité. La Comtesse a vécu une quinzaine d’années aux États-Unis où elle y acquis un MBA (Maîtrise en Administration des Affaires) et œuvré en finance et direction d’entreprise. De retour en France, elle compléta une formation en œnologie et ajouta à son c.v. des étapes au Château de Latour à Pauillac, ainsi qu’aux domaines de Montille et Roulot de la Côte de Beaune. La suite fut l’acquisition du Château des Bachelards et de son vignoble qui compte douze hectares sur trois Crus: six hectares d’un seul tenant sur Les Bachelards de Fleurie (un ex-lieu-dit intégré vraisemblablement au lieu-dit La Treille à la réforme du cadastre) dont un clos muré de 1,8 hectare duquel origine la cuvée ‘Le Clos’; trois hectares sur Moulin-à-Vent  (la Comtesse ne communique pas le nom des lieux-dits, mais précise que les vignes sont positionnées ‘Sud et Est à mi-coteau’); et trois sur Saint-Amour. Les vignes y sont partout très âgées, entre 60 et 80 ans, et induisent des rendements très faibles, de l’ordre de 25 à 35 hl/ha. Les sols sont travaillés.
La carte géo-pédologique à l’échelle 1/10 000 produite assez récemment sur l’aire de Fleurie montre que le terroir Les Bachelards se partage sur deux types de sols: une partie sur un sol ‘d’arène’, sablo-limoneux, résultant de la dégradation complète du granite autochtone et, une autre partie, sur un sol argileux résultant du cumul et du remaniement d’alluvions et de colluvions originant des coteaux. Alexandra de Vazeilles souligne d’ailleurs la présence importante d’argile sur Les Bachelards.
L’agriculture biologique a été initiée au domaine par l’antécédent propriétaire en 2007. Alexandra de Vazeilles y a introduit la pratique de la  biodynamie; la certification Demeter ayant été obtenue en 2015. Différemment de la vinification proprement beaujolaise, dite ‘semi-carbonique’, le Château des Bachelards conduit des fermentations classiques, bourguignonnes: égrappage des raisins, levures indigènes pour initier la vinification, longue, en cuves béton, jusqu’à  28 jours, avec pigeages et remontages. Foudres, barriques et demi-muids sont utilisés pour des élevages également longs, de l’ordre de 24 mois. Les Fleurie et Moulin-à-Vent du Château ont définitivement une aptitude à vieillir sur deux ou trois décennies. La bouteille adoptée est du type bordelais, davantage appropriée à la longue garde selon Alexandra de Vazeilles. Elle a le cran d’additionner des choix et des pratiques non usuels.
Le Château des Bachelards et le vignoble l’entourant fut un site monastique, clunisien, entre le 12e siècle et la Révolution. L’État français a attribué le statut de château aux ex-propriétés religieuses après la Révolution pour en faciliter la vente

De gauche à droite, de haut en bas: La Comtesse Alexandra de Vazeilles. — Illustration de près de 150 ans du Château des Bachelards, tirée de l’ouvrage ‘Vins du Beaujolais, du Maconnais et Chalonnais, étude et classement … (1894) de Victor Vermorel et René Danguy. Bien que récemment restauré, l’ensemble est demeuré inchangé. La lignée familiale Platet en fut propriétaire de 1793 à 2007. — Le chai actuel de la propriété logeant des fûts et demi-muids. — La bouteille de type bordelais est exceptionnellement adoptée par Alexandra de Vazeilles pour tous les vins de crus du Beaujolais.