Révisé en février 2023
La première maison de négociants est fondée à Beaune en 1720, la maison Champy. La fondation de la maison Bouchard suit en 1731. Les négociants émanent de la profession des commissionnaires. Assermentés, le rôle de ces derniers consistait à faire des achats et organiser la logistique d’expéditions pour le compte de clients étrangers. Au 18e siècle, dans la foulée de la libération des marchés, les négociants prennent le contrôle de celui du vin. Un aspect particulier de leurs pratiques commerciales des 17e et 18e siècles va fixer le concept des vins de La Côte tel qu’on le connait aujourd’hui: une myriade d’appellations communales et de crus. Les négociants mettent en valeur au cours de cette période des noms de marques à des vins standardisés, c’est à dire dont les marques correspondent chacune à un type de vin que la clientèle reconnait et veut voir être constant, de millésime en millésime. Destinée particulièrement au marché ‘haut de gamme’, une gamme de marques fait valoir des noms de finages et de crus − Gevrey-Chambertin, Chambertin, Les Saint-Georges, Pommard, … − en guise de dénominations de produits. Ces vins de marques sont élaborés selon le principe d’équivalence: pour rencontrer avec constance les caractéristiques propres à chacune d’elle, la provenance des raisins et les intrants à la réalisation des vins peuvent et sont diversifiées. Ce sont ainsi les négociants qui, en pérennisant leurs pratiques de ‘marketing’, institutionnalisent en quelque sorte l’usage, nombreux, des noms de crus et de finage. Les Lois du début du 20e siècle sur les Appellations d’Origine les contraindront, en dépit de leur forte opposition, à lier intégralement le nom du cru, ou du finage, à l’origine des raisins. Longtemps, même après l’avènement des Appellations Contrôlées, le ‘Pommard’ fut produit pour correspondre à l’image établie anciennement par les négociants de vin, celle d’un vin coloré, solide, tannique. |
CONTENU:
1 ⇒ Genèse d’une réputation de vin rouge puissant et coloré
1-A → Vins gagnant en solidité au fil du 19e siècle
1-B → Pérennité de l’image de vin puissant au 20e siècle
2 ⇒ La géologie en appui ou en rupture à l’image classique du Pommard?
3 ⇒ Une image à son crépuscule?!
1 ⇒ Genèse d’une réputation de vin rouge puissant et coloré
1-A → Vins gagnant en solidité au fil du 19e siècle
Dans son fascicule portant sur Pommard (‘Pommard et ses vignobles’), édité en 2009, donc encore assez récent, Henri Cannard écrit que ses vins sont “virils, amples et robustes“. Il ne fait que reprendre, avec l’emploi d’un pléonasme, “c’est le vin de l’homme fort“, ce qui est écrit dans la majorité des écrits sur ce finage.
Dans le premier livre exhaustif, remarquable, réalisé en 1831 sur les vins de La Côte et ses environs, ‘Statistique de la Vigne dans le département de la Côte d’Or’, Denis Morelot écrit:
“… quand on sort de ces vignes (celles de Volnay), on entre sur le territoire de Pommard, qui offre les excellents climats des Fremyets, des Bertins, des Croix-Noires, des Rugiens, etc. Tous les vins qui se récoltent sur cette partie de la côte sont excellents par leurs qualités; ils ont une finesse, un bouquet, une délicatesse, un goût suave qui ne se rencontrent en aucune espèce de vin; aussi quand ils ne sont ni trop nouveaux ni trop vieux, on pourrait dire qu’ils l’emportent sur tous les vins.”
Morelot chante les attributs de finesse et de délicatesse des vins du coteau méridionale de Pommard. Ce profil évoqué par Denis Morelot ne correspond alors pas à l’image du vin puissant, laquelle va se développer subséquemment. En fait, si ce dernier devait avoir suggéré un aspect de puissance aux vins de Pommard, c’est peut-être en les comparant aux vins de la Côte de Nuits.
Dans son important ouvrage ‘Histoire et Statistique de la Vigne et des Grands Vins de la Côte d’Or’, 1855, Jules Lavalle signale des traits de fermeté et d’intensité de couleur aux vins de Pommard: “la côte de Pommard produit d’excellents vins fins, fermes, colorés, … peut-être ont-ils moins de finesse et de bouquet que ceux de Volnay, mais ils ont une meilleure garde.” Lavalle évoque davantage de puissance à l’égard des vins de Gevrey-Chambertin (“le caractère général et distinctif de tous les vins de pinot de Gevrey est la fermeté ou le corps ...”) ou ceux d’Aloxe-Corton (“ce sont les vins les plus fermes et les plus francs de la côte de Beaune ...”.)
À la fin du 19e, les Pommard seront devenus “des vins qui se distinguent par leur corps, leur solidité et leur couleur” selon les auteurs René Danguy et Charles Aubertin, dans ‘Les Grands Vins de Bourgogne, Étude et Classement par ordre de mérite’ de 1891.
Bref, ces trois extraits chronologiques indiqueraient que la réputation du Pommard puissant et coloré s’est consolidée au fil de ce siècle. Soulignons-le encore, ce sont les pratiques des maisons de négociants-éleveurs qui ont fixé ce standard, cette réputation:
“Pour la Côte de Beaune on savait par exemple que Volnay signifiait finesse et distinction et Pommard, puissance, corps, velours ! Le négociant avait ainsi toute facilité pour satisfaire le goût du client en livrant des vins non pas seulement récoltés à Volnay et à Pommard mais ceux ayant les mêmes caractères qu’il trouvait dans toutes les autres communes de la Côte de Beaune.” ‘Les négociants en vin de Bourgogne’. Christophe Lucand, 2011. |
Bref, la conception des Pommard s’appuie alors sur des extractions poussées. Nous verrons à la suite que cette notion fut maintenue au 20e siècle par les vignerons de Pommard.
1-B → Pérennité de l’image de vin puissant au 20e siècle
Créées par les maisons de négociants-éleveurs, les images des vins de certains villages portant une marque, tels Pommard/Gevrey-Chambertin/Chambolle-Musigny/…, sont maintenues au cours du 20e siècle. Dans la première édition de 1996 de son ‘Vin de Bourgogne’, Jean-François Bazin corrobore cette approche commerciale en écrivant relativement à Pommard “Tout vin rouge coloré et puissant prend le nom de Pommard sur les marchés de consommations.”
À partir du milieu du 20e siècle, quand les vignerons entreprennent graduellement de faire de la mise en bouteille et de la vente directe, ils participent résolument au maintien des images des vins de leur commune respective, cela en adoptant des pratiques œnologiques conséquentes. Les pommardois pratiquent alors les extractions les plus fortes de toute La Côte et, du coup, ils obtiennent les vins plus robustes. Dans son ouvrage majeur réalisé vers 1967, ‘Le Vignoble de la Côte bourguignonne’, Rolande Gadille a, à la suite d’une enquête, traduit sur une illustration (voir plus bas) les durées de cuvaison par finage. Avec une durée de cuvaison de 14 à 20 jours, Pommard est l’endroit de toute La Côte où les extractions sont manifestement les plus allongées. À Gevrey-Chambertin, réputé également pour ses vins ‘masculins’, la durée est moindre, de 12 à 14 jours, mais élevée. Sur le finage de Beaune, adjacent à Pommard, les durées sont de quatre à six jours; à Chambolle-Musigny, d’où originent des vins dits ‘féminins’, la durée est entre 10 et 12 jours.
Rolande Gadille a produit un ouvrage monumental édité en 1967, ‘Le Vignoble de la Côte bourguignonne’, dans lequel elle résume par une illustration les durée de cuvaison observées à cette période sur les différents finages. Or, nettement davantage qu’aujourd’hui, dans la pratique œnologique du milieu du siècle passé, l’extraction est largement tributaire de la durée de cuvaison (extrait du livre de Rolande Gadille: “… Il importe de noter que toute modification à la durée de cuvaison influe non seulement sur la couleur, mais également sur les autres caractères du vin: la teneur en alcool, de même que la richesse en tannins s’en trouve affectée …”.) L’endroit de La Côte où les durées de cuvaison sont les plus longues est bien nettement Pommard, seul finage associé à des durées de cuvaison de 14 à 20 jours. Les vignerons reprenaient à ce moment la pratique que les maisons de négociants-éleveurs avaient développée et entretenue au 19e siècle pour établir la réputation de Pommard: des extractions carrément plus poussées. L’explication de l’image de vins costauds de Pommard s’y trouve, et non dans la pédologie/géologie.
2 ⇒ La géologie en appui ou en rupture à l’image classique du Pommard?
Des auteurs récents tels Jasper Morris (‘Inside Burgundy’, 2010) et Clives Coates (‘The Wines of Burgundy’) cherchent à justifier la réputation de vin solide de Pommard:
“The pourcentage of active limestone in Pommard is high, and the reaction between this and the clays, of which Pommard has more than Volnay and Beaune, which produces the typical fullness and sturdiness which is the Pommard character.” (Clives Coates)
“There is more much more clay in the soil and a greater presence of iron. Overall theses conditions make for a deep-coloured, relatively tannic wines, characterised by weight more than elegance.” (Jasper Morris).
Sans confirmation, de documentations de type ’cause à effet’ vérifiées, il s’agit d’hypothèses.
Le rapport géologique produit à l’échelle 1/10 000 par la géologue Françoise Vannier en 2012 (voir ici) ne corrobore pas, ni infirme, des hypothèses sous-tendant la réputation des vins de Pommard. En fait, le profil géologique de Pommard et son pattern physiographique s’inscrivent intégralement dans le schéma général de celui de toute La Côte. La géologie de l’endroit ne suggère qu’un seul caractère proprement différencié sur une partie du vignoble de Pommard: la présence importante de dolomie. Or il n’y a pas d’évidence, dans le rapport, entre l’importance de la dolomie dans le sous-sol et la typicité des vins qui en sont issus. Ne cherchons pas d’explications issues du sol ou du sous-sol alors que cette réputation ne relève que d’une pratique œnologique spécifique qui est séculaire, laquelle ‘pourrait’ s’avérer bientôt révolue.
3 ⇒ Une image à son crépuscule?!
“À l’époque il y avait une volonté de donner une identité de vin viril”
Jean-Marc Boillot, producteur renommé de Pommard (extrait d’une entrevue accordée à monocepage.com en avril 2017).
La production de Pommard ‘textbook’, viril, n’est maintenant plus généralisée au sein de la communauté des vignerons de Pommard. Certes un groupe de producteurs exercent toujours, ou ont exercé jusqu’à récemment, des extractions énergiques pour satisfaire la norme historique, tels les domaines Jean-Luc Joillot, Rebourgeon-Muré, Moissenet-Bonnard (Jean-Louis Moissenet, ex-président de l’ODG de Pommard). Toutefois d’autres vignerons pommardois vinifient dorénavant leurs vins selon la tendance œnologique contemporaine et réalisent ainsi des Pommard plus souples, tendres, tels les domaines Aleth Girardin (depuis de nombreux millésimes), Violot-Guillemard et Jean-Mard Boillot.
Relativement aux vins rouges, cette tendance œnologique contemporaine s’est étendue en fait à tout le vignoble de France. Un aspect capital des pratiques œnologiques adoptées depuis dix à quinze ans concerne les cuvaisons aux opérations extractives modérées, même très modérées chez les plus acquis à la tendance des vins gracieux.
Ainsi, les vins gracieux et élégants, sont actuels, dans l’air du temps, comme les vins ‘body-buildés’ et boisés furent louangés il y a une vingtaine d’années, dans le sillon du mode d’annotation de Robert Parker. L’intérêt pour les vins élégants est universel et ne sera probablement pas éphémère. Les producteurs pommardois délaisseront les pratiques contraires à cette tendance contemporaine, lourde. Sinon leurs successeurs le feront!
Toujours est-il … |
…que les connaissances sur la vigne et le vin étaient autrefois transmises sur le terrain, souvent de père en fils, à partir de savoir-faire propres et de coutumes locales. Les pratiques vigneronnes se sont ainsi transmises de génération en génération. Depuis quelques décennies, l’enseignement sur le vin est assez universellement dispensé dans des établissements académiques. Les connaissances communiquées sont universelles et les stages de formation sont tout autant universels. Autrement qu’autrefois, lorsqu’ils entreprennent leur carrière, les apprentis vignerons sont affranchis, sinon moins assujettis, aux traditions locales. Les pratique œnologiques actuelles vont dans le sens des vins élégants et ce sont ces techniques qui sont communiquées dans les institutions. Les jeunes vignerons pommardois sont davantage interpellés par la tendance en faveur des vins élégants que celles des vins robustes de leurs prédécesseurs. |
Nous vous invitons à lire ‘Chambolle-Musigny.: construit d’une réputation‘.
→ Bibliographie
Voir ICI.
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